Le gouvernement souhaite que l’agriculture soit une priorité au même titre que la sécurité ou la défense nationale. Gabriel Attal l’a répété quelques jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture. Le Premier ministre compte faire de l’agriculture “un intérêt fondamental de nation”, a-t-il déclaré lors d’une nouvelle conférence, consacrée aux mesures en direction des agriculteurs, mercredi 21 février, trois semaines après avoir présenté une première série de mesures pour tenter de calmer leur colère.
“Le projet de loi d’orientation agricole reconnaît noir sur blanc, dans la loi, notre objectif de souveraineté agricole et alimentaire et place l’agriculture au rang des intérêts fondamentaux de la nation, au même titre que notre sécurité ou notre défense nationale.” – Gabriel Attal lors d’une conférence de presse
L’expression “intérêt fondamental de la nation” a un fondement juridique. Elle a été “préférée à celle de ‘sûreté de l’Etat’ du Code pénal de 1810”, a relevé La Revue de droit d’Assas, de l’université parisienne du même nom, dans son numéro de novembre 2021 (PDF).
L'”intérêt fondamental de la nation” est explicité dans l’article 410-1 de l’actuel Code pénal : “Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel.”
Une portée symbolique
Mais que signifie concrètement ce nouveau statut pour l’agriculture ? Il s’agit de la placer parmi les premières priorités pour mieux la défendre – et défendre le pays – et la sortir de la concurrence avec d’autres politiques menées par l’Etat. “L’agriculture contribue, comme d’autres secteurs d’activités, aux intérêts fondamentaux qui sont ceux de la souveraineté, de la liberté, de la capacité à décider pour soi-même”, a abondé Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, sur le réseau social X. La souveraineté alimentaire “doit être élevée au rang d’intérêt fondamental de la Nation, afin que l’agriculture ne soit pas soumise aux injonctions contradictoires permanentes ni sacrifiée au profit d’autres politiques publiques”, avait également expliqué la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher au Sénat.
“La première valeur” des propos du Premier ministre est “pédagogique”, estime Carole Zakine, spécialiste du droit de l’environnement appliqué à l’agriculture.
“Cela informe la population que l’Etat va vraiment s’intéresser à son agriculture.”
Au-delà de la pédagogie et du Code pénal, l’experte souligne que la notion d’intérêt fondamental de la nation concerne également le Conseil constitutionnel. Cette instance a pour mission de dire si les lois votées par le Parlement sont conformes à la Constitution et “à certaines valeurs supérieures, dont les intérêts fondamentaux de la nation”, explique-t-elle. Sans oublier, souligne la juriste, que depuis 2005, la Charte de l’environnement fait partie de la Constitution. Le nouveau statut de l’agriculture a donc une forte portée symbolique.
“On se situe à un niveau très élevé de la hiérarchie des normes.”
Mais il est encore trop tôt pour se prononcer précisément sur ce volet. Carole Zakine attend de voir comment cela sera rédigé dans la loi puis comment cela sera interprété. Rien de très concret, pour l’instant. C’est ce que pointent des élus de l’opposition. “Une nouvelle escroquerie qui ne changera strictement rien sur le terrain”, a ainsi estimé Grégoire de Fournas, député du Rassemblement national, sur X. “Nous attendons des faits, des actes et des réponses”, commente également le sénateur écologiste Guillaume Gontard, contacté par franceinfo.
Des conséquences concrètes ?
Les choses pourraient devenir tangibles sans attendre une décision du Conseil constitutionnel : le gouvernement souhaite inscrire dans la loi que “l’agriculture est d’intérêt général”. L’exécutif l’a également affirmé et l’a écrit dans un document (PDF) intitulé “Pour nos agriculteurs, suivi et résultats”, publié lors de la conférence de presse du 21 février. Cette nuance entre “intérêt fondamental de la nation” et “intérêt général” est importante puisque l’on s’interroge sur la finalité même de l’action de l’Etat, pointe Carole Zakine. Il s’agit de parler de choses du quotidien.
Parler de l'”intérêt général” de l’agriculture signifie “que l’on va accompagner les agriculteurs avec des politiques publiques adaptées, des aides adaptées, des textes juridiques adaptés”, abonde Carole Zakine. Prenant l’exemple des agriculteurs frappés par la sécheresse, elle regrette la vision d’abord écologique des textes. “Quand un préfet prend un arrêté pour interdire aux agriculteurs de prélever de l’eau, la seule chose qui compte à ce moment-là, c’est de protéger les milieux aquatiques, l’eau potable”, explique-t-elle. “Les agriculteurs ne peuvent pas irriguer, ce qui les prive de leurs revenus. Sans indemnités”, insiste Carole Zakine.
Avec une reconnaissance d’activité d’intérêt général, il est possible d’imaginer la possibilité de débloquer des fonds plus facilement et plus rapidement pour soutenir les agriculteurs affectés. Carole Zakine note que ces réflexions sur l’agriculture comme “intérêt fondamental de la nation” ou “intérêt général” permettent de repenser la place cette activité dans notre société, et de structurer les politiques de l’Etat. Pour elle, “il s’agit de dire que l’agriculture doit être protégée et qu’elle ne doit pas être reléguée au second plan”.