La loi du 28 février 2022, connue sous le nom de loi Lemoine, établit de nouvelles obligations pour les banquiers, qui sont à la fois des prêteurs et des distributeurs d’assurance emprunteur. Les décisions récentes de la jurisprudence bancaire apportent des éclairages supplémentaires sur ce sujet. Analyse réalisée par Valérie Kieffer, avocate au cabinet Choisez Associés.
L’emprunteur s’attend légitimement à ce que sa banque et son assureur lui fournissent des conseils et des informations adaptés à sa situation spécifique. Les récentes décisions judiciaires relatives à la responsabilité du banquier concernant l’assurance emprunteur, alliées à la liberté de choix instaurée par la loi Lemoine, précisent le devoir d’information et de conseil que doit respecter le banquier lors de la souscription d’un contrat d’assurance emprunteur.
Dans un cas, un emprunteur n’ayant pas accepté l’assurance groupe proposée par la banque a par la suite attaqué celle-ci en justice, l’accusant de ne pas l’avoir averti des risques encourus en cas de non-souscription d’une assurance en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité totale de travail. Il revient au banquier, lorsqu’il propose à un client un prêt, de l’informer sur la pertinence des risques couverts par l’assurance par rapport à sa situation personnelle d’emprunteur. Ainsi, remettre une notice explicative claire ne suffit pas pour satisfaire à cette obligation (Cour de cassation, civile, chambre commerciale, 2 mai 2024, 22-21.642, publiée au bulletin).
La banque, qui avait accordé des prêts avec une proposition d’adhésion à un contrat d’assurance de groupe, devait, en l’absence d’adhésion de l’emprunteur, l’informer des risques d’une absence d’assurance compte tenu de sa situation individuelle. De plus, il était de sa responsabilité de prouver qu’elle avait respecté cette obligation. Il a été noté que le montant restant dû au moment où l’emprunteur a contracté le risque d’invalidité était entièrement pris en charge par l’assureur, mais que l’assurance ne couvrait pas la dernière échéance du nouveau prêt in fine consenti par la banque. La cour a jugé que, compte tenu de la complexité du montage financier impliquant un prêt in fine, la banque devait s’assurer que l’évolution de la structure des prêts restait compatible avec l’assurance initialement acquis, pour pouvoir alerter les assurés sur les nouvelles conditions, excluant la prise en charge de la dernière échéance en capital. Étant donné que la banque n’avait pas effectué cette démarche, elle a été reconnue coupable de faute engageant sa responsabilité (Cour de cassation, civile, chambre civile 2, 25 janvier 2024, 21-18.592).
Concernant la responsabilité du banquier dans le cadre de la gestion des sinistres d’assurance emprunteur, un autre cas a été examiné où un emprunteur, en arrêt de travail depuis le 10 novembre 2010, a vu sa mensualité de prêt prise en charge durant une période limitée par l’assureur. L’emprunteur a alors assigné en justice tant la banque que l’assureur (Cour de cassation, civile, chambre civile 1, 12 juillet 2023, 22-11.161). La Haute Juridiction a établi que toute perte de chance était éligible à réparation, sans que l’emprunteur n’ait besoin de démontrer qu’il aurait souscrit à l’assurance si la banque lui avait apporté de meilleures informations et conseils. Elle a ainsi annulé la décision de la cour d’appel qui avait conclu que, selon les caractéristiques de l’emprunteur, l’assurance proposée était adéquate et que ce dernier n’aurait pas modifié sa décision si l’attention avait été attirée sur les limitations de garantie.
Dans un autre jugement, la cour a affirmé que les garanties offertes par l’assurance cessaient effet à la date où le banquier prononçait la déchéance du prêt. Par conséquent, la cour a rejeté la demande visant à faire exécuter la garantie concernant des événements survenus après la fin des contrats d’assurance (Cour de cassation, civile, chambre civile 1, 22 mars 2023, 20-21.480).
La responsabilité d’un banquier distributeur d’assurance emprunteur peut également être engagée en cas d’exclusion de garantie, sujet sur lequel le régulateur financier a récemment attiré l’attention (publication de l’ACPR sur les clauses d’exclusion de garantie). La responsabilité du banquier et de l’assureur ne pourra être retenue que si les clauses d’exclusion sont clairement définies et exemptes d’ambiguïté (Cour de cassation, civile, chambre civile 2, 15 décembre 2022, 19-25.339, publiée au bulletin). La cour d’appel a noté que la garantie d’incapacité au travail cesserait à la date de départ à la retraite de l’assuré, quel qu’en soit le motif, y compris l’inaptitude au travail.
Concernant le délai de prescription applicable en cas de manquement au devoir de conseil ou d’information par le banquier, si un emprunteur a souscrit un contrat d’assurance de groupe offert par le prêteur, le délai pour agir en responsabilité pour un défaut d’information sur les risques courus commence à courir dès qu’il a connaissance de la non-garantie du risque qui s’est réalisé (Cour de cassation, civile, chambre commerciale, 27 mars 2024, 22-12.397). En outre, les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants sont soumises à une prescription de cinq ans, à partir du moment où le titulaire d’un droit doit avoir eu connaissance des faits permettant d’agir, conformément à l’article 2224 du Code civil.
À retenir : la loi Lemoine de 2022 a mis en place trois mesures majeures : la possibilité de résilier le contrat d’assurance à tout moment, l’abrogation du questionnaire de santé pour les emprunts de moins de 200 000 euros dont l’échéance intervient avant que l’emprunteur n’atteigne l’âge de 60 ans, et le raccourcissement du délai légal de bénéficiaire du droit à l’oubli de dix à cinq ans. En conséquence, les banques et les assureurs ont maintenant l’obligation d’informer annuellement les emprunteurs de leur droit à résilier leur contrat d’assurance de prêt.
À noter : les dernières décisions judiciaires soulignent encore plus l’obligation de l’assureur ou de l’établissement bancaire de fournir une information détaillée aux assurés concernant leur droit de résiliation. Les modalités de mise en oeuvre de ce droit doivent aussi être précisées. En cas de non-respect de cette obligation, le prêteur risque une amende allant jusqu’à 3 000 euros pour une entité personnelle et 15 000 euros pour une entité morale.